Dans le dernier numéro du Disk, la doctorante Jana Cindlerová (1979) a écrit sur Drahomíra, la pièce de Tyl représentée au Théâtre National d’Ostrava dans la mise en scène de Štěpán Pácl. Celle‑ci est en premier lieu remarquable du fait qu elle revient au texte original de Tyl (avec le dramaturge Marek Pivovar) avec tous ses ‘archaïsmes’. C’est en cela que son approche se distingue de la célèbre mise en scène d’Otomar Krejča au Théâtre National de Prague en 1960. Celle‑ci partait d’une adaptation laquelle banalisait radicalement la langue de Tyl et, ce faisant, corrigeait ses propriétés poétiques par une approche rationnelle. Le professeur Jaroslav Vostrý (1931) dans son étude «La scénologie du mot et la pièce de Zeyer Radúz et Mahulena» pose à ce propos la question suivante: les aspects respectifs contenant l’expression originale – précisément grâce à leur éloignement des habitudes contemporaines – ne peuvent‑ils pas devenir un moyen important d ‘actualisation scénique (cad. de caractérisation) des événements présentés dans la pièce de Tyl et pas seulement?
La solution au problème de l’écart entre le tchèque d’aujourd’hui et la langue des pièces classiques tchèques, s’accompagne assez souvent dans le théâtre tchèque contemporain d’un renoncement aux qualités de ces textes, qui sont liées à leur niveau prosodique: comme s’il suffisait de prendre en considération le seul niveau sémantique. La problématique liée à la distance entre la langue classique et les normes linguistiques d’aujourd’hui est résolue sous la pression des conventions scéniques contemporaines (et pas seulement théâtrales), dont la domination a fait que la dramaturgie théâtrale tchèque contemporaine ne semble pas capable de reconnaître des qualités poétiques certaines. Vostrý le montre avec l’exemple da la pièce de Zeyer Radúz et Mahulena dans l’actuel arrangement du texte original pour les besoins de sa mise en scène au Théâtre National de Prague. En analysant les caractères prosodiques concrets des textes de Zeyer, il tire au clair comment les qualités poétiques de textes semblables égalent leurs qualités scéniques.
L’auteur de l’étude citée s’exprime sur la problématique du canon du théâtre tchèque. La pièce de Zeyer devrait selon lui avoir sa place dans ce canon – «si ça fonctionnait vraiment chez nous comme c’est l’usage dans les cultures nationales normales: cette pièce revient régulièrement sous les formes les plus variées et selon leur destinée, on peut suivre non seulement la misère et la grandeur du théâtre tchèque, mais aussi les évolutions dans la culture tchèque». Comme candidate méritant d’être classée dans ce canon «la pièce fournit un bon exemple et même deux: du point de vue du texte dramatique, elle est l’exemple d’une oeuvre faisant du niveau prosodique l’égal du niveau sémantique; du point de vue scénique, c’est une oeuvre tendant fondamentalement à l’épanouissement des mots écrits par l’expression parlée de l’acteur. La comparaison avec d’autres contes, aussi typiques pour le théâtre tchèque, montre qu’il s’agit dans le cas de Radúz et Mahulena «d’une pièce qui reflète certaines tendances constantes du théâtre tchèque, et pourtant (semble‑t‑il) échappe à une pleine identification avec ces tendances. Tels sont les caractères des oeuvres qui font partie du canon de la culture ».
Il est certain que «dans le cadre de ce canon toujours redeterminé, il s’agit du choix de pièces qui, en tant que ,cas, aident à découvrir les tournants de l’évolution: le canon ne représente pas quelque chose du passé, mais se réfère aux tendances apparues qui durent». C’est le point de départ de la recherche qui a affaire au canon du théâtre tchèque et à ses transformations, et qui part de la conviction que ces «tournants» reflètent les changements et les tendances persistantes de la mentalité nationale dans le contexte de l’évolution de la culture occidentale. Jana Cindlerová, déjà citée plus haut, s’occupe de la problématique du théâtre tchèque à l’Institut de création dramatique et de création scénique de DAMU avec les doctorantes Lenka Chválová et Tereza Marečková (voir leurs contributions dans les Disk 26, 29, 30 et autres). De la série d’analyses de pièces et de leur interprétation scénique, réalisée sous ce rapport, et concernant surtout le drame sous la 1ère République, nous poublions leur communication sur l’Affaire Makropulos de Čapek, laquelle a le mieux convenu, semble‑t‑il, aux théâtres tchèques pour commémorer l’anniversaire de Čapek. En liaison avec les différentes conceptions des personnages principaux de cette pièce dans différentes mises en scène, Cindlerová s’intéresse à la détermination de son genre: la question de savoir s’il s’agit vraiment d’une comédie – et de quelle sorte – devient au théâtre un problème pratique de mise en scène et la résonance qu’elle trouve dépend de la manière dont la mise en scène règle de façon pratique le problème.
Quand il est question, dans l’étude citée de Vostrý, des conventions scéniques contemporaines, il s’agit naturellement avant tout de l’exigence d’un prétendu naturel, compris du point de vue de la banalisation (télévisuelle) dominante. Le fait que les qualités prosodiques soient fréquemment laissées de côté, a naturellement pour conséquence néfaste la négligence des possibilités de mises en scène qui sont en relation avec le niveau du langage scénique. Celui‑ci naturellement ne peut être au niveau demandé dans le contexte théâtral où le mot sur scène ne semble pas très important – et c’est le cas malheureusement depuis un certain temps du théâtre tchèque. D’ailleurs ce dernier a toujours eu des difficultés avec la problématique de la parole sur scène (des difficultés ont toujours existé avec la norme non‑écrite du naturel courant.: c’est ce que montre l’étude du metteur en scène et théoricien du théâtre d’avant‑garde de l’entre‑deux‑guerres Jindřich Honzl, ayant pour titre «La parole sur scène et au cinéma». Malgré certains aspects discutables (les thèses dépassées de Honzl sur le «le son photographié» sont corrigées dans une note jointe par le professeur Václav Syrový), nous la reproduisons dans ce numéro du Disk.
Malgré ses efforts pour faire valoir l’orthodoxie structuraliste‑et aussi marxiste, Honzl (1894–1953) avait un sentiment artistique si fort qu’il réussit dans les questions spécialisées à s’en détacher. De là vient son sens délicat pour le rapport spécifique du signe et du sens au théâtre et sa capacité à les différencier – tout en restant conscient de leur rapport réciproque.: dans cette distinction de l’existence matérielle et du contenu immatériel ou du caractère de provocation mentale (en rapport avec la distinction du prosodique et du sémantique), la «parole poétique libérée» qui lui importe, se fait valoir dans leur scintillement réciproque. Mais nous imprimons aussi l’étude de Honzl en raison des exemples historiques qu’il analyse. Ce qu’il écrit de Vojan, le lecteur peut le compléter avec la riche étude de Jaromír Kazda (1948) «Contribution au travail vocal de l’acteur Eduard Vojan». Utile à lire, et pas seulement pour les spécialistes de cette problématique, l’étude de Marek Frič (1978) chercheur au Centre de recherches d’acoustique musicale à la Faculté de musique d’AMU et doctorant d’électrotechnique de la ČVUT: de combien de ces particularités la pratique contemporaine courante n’a pas la moindre idée!
Un bon nombre de pages est consacré dans ce numéro à l’art du comédien; la conception et la publication de la plupart d’entre elles ont été rendues possibles par la bourse GAČR Formes et styles de l’art du comédien, dont Zuzana Sílová (1960) est la coordinatrice. Elle est elle‑même l’auteure du cycle d’articles «Les comédiens sur les scènes tchèques» (voir son étude «De Svoboda à Zakopal» dans le Disk 28, «Les héritiers de Mošna» où elle parle de L. Veverka, de F. Smolík et de Z. Baldová, dans le Disk 29 et «Les héritiers de Šamberk, où elle écrit sur F. Roland et en particulier sur S. Rašilov, dans le Disk 32): dans ce numéro‑ci, elle se consacre au «roi des comiques» tchèque Vlasta Burian (1891–1962). En liaison avec «l’état d’hilarité» propre à Burian et la mise en valeur créatrice de son éternel débordement d’énergie, par lequel il explique lui‑même son inspiration extemporanée, le ,cas’Burian nous parle clairement non seulement de la problématique de l’acteur, mais aussi du thème de la «source de l’art du comédien». Sílová n’oublie pas bien sûr dans le jeu de Burian la crétion des mots, laquelle est – dans la tradition du mime ou de la comedia dell’arte (ce qui est la même chose au sens large) – un exemple original de scénologie du mot.
Pour ce qui est de la «source de l’art du comédien», l’auteure de l’article cité a raison d’attirer l’attention sur les métamorphoses: chez Vlasta Burian, elles ont lieu au niveau du rapport du comédien et du personnage, mais aussi au niveau du personnage lui‑même qui se fait passer ou bien est considéré comme quelqu’un d’autre. «La métamorphose qui se fait dans ce cas – la plupart du temps directement sous les yeux du spectateur – , ne sert pas seulement au déroulement d’intrigues obligées reposant sur la confusion et la substitution de personnages, les identités cachées, éventuellement les découvertes toujours repoussées, ni à la production de lazzi mimés et de gesticulation ou à l’émission de galimatias, créant l’arsénal attendu d’une présentation comique de soi. Cette métamorphose devient l’occasion unique (parce que produite à chaque fois autrement) de présenter dans un seul corps une double existence et renvoie ainsi à la fonction antique et la plus fondementale de l’art du mime: confronter la réalité représentée à ses autres apparences ou possibilités et créer ainsi un ,autre’monde.
Dans le cycle d’articles écrits dans le cadre du projet déjà mentionné, Jan Hyvnar (1941) se consacre aux comédiens virtuoses du 19ème et du début du 20ème siècle (dans le Disk 27 à Sarah Bernhardt et Eléonore Duse, dans le Disk 28 à V. F. Komissarzevska et – après une digression dans le numéro 30 consacrée au jeu de la Reduta polonaise – dans le Disk 32 à Mounet‑Sully et à B. C. Coquelin): dans ce numéro, on parle de Henry Irving et d’Ellen Terry, lesquels lui semblent être des «acteurs préraphaéliltes de l’époque victorienne.Il décrit leur carrière d’acteur sur le fond de deux tendances, à savoir la «Bildregie» et la «Wortregie», Irving ayant développé la première, mais de façon à faire valoir son propre art en même temps que celui de sa partenaire E. Terry. Hyvnar montre leur place dans la confrontation aussi bien avec les prédécesseurs (en particulier avec E. Kean, le représentant du jeu romantique) qu’avec les nouveaux courants: le style de jeu d’Irving a été critiqué par la génération des réalistes avec en tête J. B. Shaw, tandis que E. G. Craig qui représente la génération des symbolistes, voyait dans le jeu de son beau‑père l’accomplissemet d’une certaine tradition et les premiers signes d’une conception propre de l’acteur parfait ou bien d’une «supermarionnette».
La doctorante Petra Honsová (1974) a contribué à ce numéro avec son étude sur Jiří Hálek: elle retient surtout de sa carrière les personnages qu’il a joués dans les créations du Činoherni klub (Le Club dramatique) des années 60. Par la seule analyse de la manière dont l’art de jouer de Hálek fut mis en valeur dans ce théâtre, la contribution de Honsová pose et en même temps répond tant à la question des rapports des possibilités de l’acteur avec les opportunités offertes (Hálek en reçut des auteurs Ladislav Smoček et Alena Vostrá, ainsi que des metteurs en scène autant que le demandaient ses facultés exceptionnelles), tant qu’à la question des rapports de l’acteur et de la troupe du théâtre que grâce à eux, Jiří Hálek a pu façonner.
L’étude nommée est complétée par l’article de Petr Holý (1972), premier secrétaire de l’ambassade de la République tchèque au Japon et directeur du Centre tchèque de Tokyo, doctorant de l’Université Waseda à Tokyo, lequel présente aux lecteurs du Disk l’acteur le plus remarquable dans les rôles féminins du théâtre kabouki contemporain qui est aussi un acteur‑danseur mondialement connu ,Bandó Tamasaburó.
La revue Disk continue à suivre les activités citoyennes qui ont à faire aux villes ou aux communes en tant que scènes et à la mise en scène de soi comme moyen de former l’idéntité de la société locale (rappelons ici l’article du metteur en scène R. Lipus, intitulé «Scénicité et identité» sur une initiative semblable des citoyens de Starý Bohumín dans le Disk 18 et sa contribution «Adamov: identification sur les activités de l’artiste Olga L. Hořavová dans le Disk 28). Dans le même cadre, nous avons publié dans le dernier numéro la contribution de Denisa Vostrá (1966) «Le musée de Štěpánovsko»: des batiments vétustes à la scène culturelle». Y fait suite dans ce numéro la contribution d’Alexandr Gregar (1943), qui présente comme scène en son genre Miletín, en Bohême de l’Est, ce qui est intéressant pour les lecteurs de cette revue parce qu’y a été créé grâce à quelques enthousiastes le Musée du théâtre amateur. Dans une note intitulée «De Miletín à Hronov», Jana Cindlerová évoque le destin actuel et le symposium intitulé Tradition du théâtre amateur tchèque aujourd’hui, qui a lieu le premier et le deux août (le premier jour à Miletín et le second à Hronov, le symposium constituant une partie du jubilé des 80 ans du Hronov de Jirásek).
Dans le domaine de la scénologie générale, Markéta Machačiková (1987), depuis octobre 2010 étudiante de deuxième année en maîtrise d’art dramatique à DAMU, traite dans son article «L’empaillage des animaux» de la branche spéciale de mise en scène que représente la taxidermie: c’est sur cette base qu’il convient d’approfondir l’inspiration de Damien Hirst, l’artiste contemporain préténdûment le mieux payé.
Les animaux empaillés, en dehors de leur mise en scène dans les musées, deviennent une partie de l’espace d’habitation que leurs propriétaires d’origine façonnent ou finissent de façonner. Il est possible et instructif d’examiner ces espaces d’habitation comme des scènes sui generis. Le palais Jacquemart‑André à Paris, fonctionnant aujourd’hui comme musée, constitue un exemple de ,scène de ville’de ce genre: c’est pourquoi Jaroslav Vostrý en parle dans l’article intitulé «Nouvelles inspirations scénologiques à Paris». Le professeur Július Gajdoš (1951) traite un tout autre milieu dans l’article «Scène du nord: les chevaux de bois de l’Arkchangelsk»: l’idée lui en est venue lors de la visite de cette région à l’occasion d’une conférence et du festival de théâtre, organisés pour l’anniversaire de naissance de l’écrivain russe Fedor Abramov.
Le thème de la ‘scénologie de l’habitat’, lequel est abordé aussi par Vostrý dans son deuxième article, fait l’objet dans ce numéro du Disk de deux contributions: celle de Tereza Šefrnová (1980) – elle terminera l’année prochaine la maîtrise de théorie et critique à DAMU) «Comment les artistes ont inventé les lofts», et celle du professeur Lubomír Konečný (1946) et d’Ivan P. Muchka (1946), lequels ont fait le comtpe‑rendu critique du livre de Jana Máchalová Histoires des villas italiennes (édition préparée par Ivan Chvatík).
Nous avons fait usage de la notion de ‘scénologie de l’habitat’: J. Vostrý écrit, dans l’article déjà cité consacré aux inspirations scénologiques à Paris, sur ‘la mise en scène du lieu de vie’. En suivant diverses scènes parisiennes – au théâtre, à la maison et dans la rue – il s’intéresse en particulier à l’espace frontière où se touchent la scène et la salle et où l’individu concerné est à la fois objet et sujet de la mise en scène. C’est bien sûr le cas de tout espace public, à la scénologie duquel s’intéresse Radovan Lipus, auteur du livre Scénologie d’Ostrava, au Centre de recherches fondamentales d’AMU à Prague et à l’Université Masaryk à Brno. Dans ce contexte, Lipus est aussi intéressé par les centres de culture polonais connus (voir ses articles sur Gliwice, Disk 14, Gdansk Disk 22 et Wroclaw Disk 23) ainsi que par la région de Silésie alors que dans le Disk 31, nous avons publié son article «La Silésie – le dragon à trois têtes [polonais‑allemand‑tchèque] – Gliwice», article inspiré par le séminaire international de février à la faculté d’architecture de l’Ecole polytechnique de Silésie à Gliwice, cette fois nous publions sa traduction de la contribution d’ouverture de la professeure Ewa Chojecka, intitulée «Souvenirs du dragon à trois têtes»: la Silésie y est clairement évoqée comme une scène ‘unie et divisée’.
En annexe, nous présentons le dramolet de Jiří Šipek et de Barbora Nováková «Mon meilleur ami» inspiré librement de la vie de Klara Schumann.
Traduction Vladimíra et Jean‑Pierre Vaddé