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Disk 32 (Juin 2010)

Nous ouvrons ce numéro du Disk avec l’étude de Július Gajdoš (1951) „Les industries de la création: essor de la culture, ou bien nouveau totalitarisme du marché?“ L’auteur considère la tendance actuelle qui a déjà reçu une confirmation officielle: l’Europe commence à s’orienter vers le potentiel économique de la culture et de l’art. Cela peut naturellement faire naître le soupçon qu’il s’agit d’un nouveau pas vers la domination dévorante du marché. Ce nouveau totalitarisme du marché, qui règne déjà sur les médias techniques, ne cherche-t-il pas à avoir sous son contrôle ce qu’on appelle l’Art et aussi les initiatives culturelles spontanées du citoyen? De telles activités – sur lesquelles écrit Denisa Vostrá (1966) dans l’article „Le musée de Štěpánovsko: le chemin d’un bâtiment vétuste vers la scène culturelle“ – ne semblent-elles pas s’orienter vers une mise en scène de soi locale tirant profit de l’activité touristique? Comment cette nette orientation du marché a changé et change par exemple Prague, Tatiana Brederová (1987), étudiante de maîtrise à DAMU (théorie et critique), en donne un témoignage personnel. Elle vient de la cité Petržalka de Bratislava et s’appuie, dans son regard sur la ville – inspiré de Kevin Lynch – sur l’utile distinction de l’image commune et de l’image mentale de la ville: cette dernière provient bien sûr de l’expérience de l’habitant et du visiteur.

‘L’élément citoyen’, qui est derrière les initiatives culturelles évoquées, sera d’abord peut-être – comme dit Gajdoš – reconnaissant de l’apport financier du marché, mais en même temps sera privé de sa spontanéité et de son indépendance. D’un autre côté, de tels efforts des grandes institutions officielles pour les artistes et les agents culturels peuvent être vraiment stimulants: il semble que les agents économiques commencent à prendre conscience de l’importance (toujours potentielle et sous certaines conditions) et de la force de l’art et de la culture. La traduction de cette problématique dans la langue bureaucratique peut certes troubler – et ,bureaucratiser’ la notion si importante de ‘créatif’. Cela a naturellement toujours une influence sur l’objet même traité par les bureaux: le résultat peut être une transformation de l’objet original en quelque chose de tout autre que l’on peut ensuite traiter de façon contraire à l’origine. L’étude effective de cette problématique en est d’autant plus importante (rejoignant dans une certaine mesure la problématique de la mise en scène et de la mise en scène de soi). En ce sens, l’initiative de l’Ecole supérieure d’art d’Utrecht est tout à fait la bienvenue, ainsi que sa collaboration avec d’autres écoles supérieures orientées comme elle: le résultat en fut au mois de mars le Premier séminaire international sur l’étude des affaires dans la culture (The First International Research Seminar on Cultural Entrepreneurship), auquel J. Gajdoš a participé et dont il nous rend compte dans son article. Pour ce qui est du problème du financement et de l’institutionnalisation des activités artistiques et en particulier théâtrales, peuvent servir à la comparaison des différents systèmes l’étude du doctorant Pavel Bár (1983) „Révolution dans l’opérette?“, qui traite de la situation de l’opérette tchèque après 1945, de même que la contribution „L’espace scénique kabuki et le théâtre Kabuki-za“: son auteur est Petr Holý (1972), premier secrétaire de l’Ambassade tchèque au Japon et directeur du Centre tchèque de Tokyo, doctorant de l’université Waseda de Tokyo. En liaison avec la parution de la traduction tchèque du livre d’Andreas Kotte Theaterwissenschaft (Eine Einführung) aux éditions Disk, le professeur Jaroslav Vostrý(1931) a déjà accordé attention dans le dernier numéro à la notion fondamentale de sa conception, à savoir ‘l’événement scénique’. Dans ce numéro, il se penche, dans l’étude „L’acteur entre le rôle et sa propre présence corporelle“, sur la conception qu’a Kotte de l’art du comédien envisagé en liaison avec la façon dont les tendances contemporaines le perçoivent. Usant du vocabulaire utilisé dans cette revue, Kotte aussi parle du passage de la perception du jeu de l’acteur comme texte à sa perception comme événement se passant directement. Cette ,présence directe’ dont il s’agit dans la production de l’acteur et dans sa perception au théâtre, Vostrý la réclame bien sûr aussi pour le jeu de l’acteur devant la caméra. Il argumente en tant qu’ancien chef du théâtre Činoherní klub dont le jeu de l’acteur a représenté dans l’histoire du théâtre tchèque des années 60 le changement le plus radical, à savoir le passage ,du signe au corps’: ce n’est pas un hasard si les productions du Činoherní klub sont étroitement liées à la ,nouvelle vague cinématographique’ tchèque. Il fait valoir ses expériences directes avec le travail des acteurs du Činoherní klub, quand il impose sa conception du vécu créatif de l’acteur: ce vécu provient de la situation de la personne dramatique, mais il revient au vécu du processus de création; Vostrý a en tête la création du personnage acteur, laquelle est fondamentalement différente de la simple prestation dans le rôle. En cela la façon dans laquelle l’acteur ou l’actrice s’expriment, se différencie des expressions scéniques ,dans la vie’: alors que dans celle-ci le rôle sociologiquement conçu représente la synthèse d’exigences et au niveau du comportement l’ensemble des conventions respectives, l’acteur moderne a besoin de liberté et son acte créateur se rebelle contre la simple admission de moyens conventionnalisés.

L’art du comédien fait aussi l’objet dans ce numéro du Disk des études de Jan Hyvnar (1941) „Les monstres sacrés“ et de Zuzana Sílová (1960): l’étude de cette dernière entre dans le cycle des communications provenant de la recherche des formes et des apports pour le théâtre tchèque des comédiens-baladins. Tandis que les contributions précédentes intitulées „Les comédiens sur la scène tchèque“ avaient pour sous-titre d’abord (dans le Disk 28) ,De Svoboda à Zakopal’, puis (dans le Disk 29), ,Les héritiers de Mošna’- il s’agissait de Ludvík Veverka, František Smolík et Zdeňka Baldová – l’auteure se consacre cette fois d’abord à František Ferdinand Šamberk, puis à František Roland et à Sa­ša Ra­šilov: cad. à ceux qui, comme Šamberk et d’autres (dont on parlera ailleurs), étaient, d’après Vodák „blindés jusqu’à l’insensibilité contre tout caractère sacré traditionnel“. L’étude de Hyvnar fait aussi partie de ce cycle „Sur l’histoire de l’art dramatique européen“: tandis que les deux parties précédentes étaient consacrées à deux actrices virtuoses au tournant du 19ème et 20ème siècle (dans le Disk 27 Sarah Bernhard et Eleonore Duse et dans le Disk 28 V. F. Komissarjevska), après quelques détours vers les acteurs de la Redoute polonaise (dans le Disk 31), le tour est venu des acteurs virtuoses français. Il s’agit en particulier de Mounet-Sully et de B. C. Coquelin. Pour ce dernier, qui a le premier incarné le personnage de Cyrano de Bergerac, l’auteur de l’étude présente ses idées théoriques sur l’art du comédien.

Pour ce qui est de la scénologie à proprement parler, ce numéro con­tient deux études. La première de Josef Valenta (1954), dont le lieu d’activité principal est la chaire de pédagogie de la Faculté des lettres de l’Université Charles; la seconde étude est de Kenji Hotta (1984) doctorant à l’université Tokai à Tokyo. Dans le texte „Masques et visages“, J. Valenta poursuit librement la série d’articles concernant la scénicité non-spécifique, à savoir la scénicité dans les comportements de tous les jours ( voir les Disk 26–28 et 30). Cette fois ,il part de la réflexion sur la mise en scène de soi dans la vie contenue dans le texte dramatique, et dans sa mise en forme sur la scène. La farce de Chiarelli Masques et visages est dans ce cas une véritable „encyclopédie scénique des principes importants d’une telle mise en scène“. L’analyse renvoie notamment au motif directeur qui est la difficulté de maintenir le masque social pour ,l’homme d’honneur’ (et son désaccord avec ce qu’il vit réellement) dans le cas où l’épouse est infidèle. Nous trouvons là toute une série de petites autostylisations, de mensonges, de tromperies etc., qui complètent l’image de la capacité humaine de faire passer à tout instant la réalité de la vie pour un spectacle sur la scène.

A l’époque du mettre en scène gé­né­ral, le problème se pose de la façon de considérer du point de vue de l’interprétation pragmatique deux sortes de performances apparemment aussi différentes que les performances théâtrale et sportive. Kenji Hotta tente de trouver des points de contacts entre le sport et le théâtre dans le caractère cognitif des acteurs: homo ludens (Huizinga), ou homo symbolicus (Cassirer) ainsi que d’autres définitions de l’être humain représentent seulement des segments complémentaires importants d’un tout cognitif complexe: l’être humain en tant que tel (qui comporte le genre féminin comme le genre masculin). L’être humain, qui n’est pas déterminé seulement par sa langue maternelle et sa culture propre, mais aussi par ses capacités cognitives universelles (les déterminants biologiques) n’agit pas dans l’interprétation de la réalité et que ce soit donc dans la performance artistique ou sportive, en tant qu’acteur désintéressé. C’est pourquoi il est nécessaire de se demander si la conception de la communication ostensible, comme l’a définie I. Osolsobě, est acceptable dans le monde où le mettre en scène général, par principe, demande la synchronisation et l’activation de systèmes symboliques et de postures cognitives divers, ainsi que du comportement rationnel et émotionnel, où la conception synecdotique pars pro toto n’est pas à même d’appréhender la complexité sémantique du tout. La dimension scénique dans la performance est de facto la dimension du sens, parce que c’est seulement dans sa constitution, dans son caractère paradigmatique qu’il est possible d’appréhender le sens global même de la performance.

Jana Cindlerová (1979) dans son article intitulé d’après la pièce „Baptême sanglant ou bien Drahomíra et ses enfants“, traite de la mise en scène de Pácl de ce texte de Tyl au Théâtre national d’Ostrava; cette mise en scène attire l’attention sur le retour au texte original de la pièce: serait-ce le signal d’une attention plus grande aux qualités prosodiques de la langue dramatique dans le théâtre tchèque? Jan Hančil (1962), doyen de DAMU, fait le compte-rendu du séminaire d’une journée intitulée „Auteur, la qualité d’auteur et l’autorisation“, qui a eu lieu en février de cette année à la bibliothèque Eliade au théâtre Na zábradlí et constitue la dernière rencontre de la série organisée par l’Institut pour l’étude et la recherche sur le jeu dramatique d’auteur à DAMU: il s’agit de la conception de la chaire de création d’auteur et de l’Institut de l’élargissement sémantique du sens commun de la qualité d’auteur au sens existentiel (non artistique) se rapportant beaucoup plus à la position de l’être. Lenka Chválová (1979) soulève dans son article la question du récit et de l’art du récit en liaison avec la mise en scène, comme le pratique Petr Volf dans ses films documentaires.

En annexe de ce numéro, nous publions la pièce de Pavel Landovský Protentokrát zbohatnem (Pour cette fois, nous allons être riches).

Traduction

Vladimíra et Jean-Pierre Vaddé