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Disk 31 (Mars 2010)

Les contributions publiées dans ce numéro du Disk peuvent en gros être rangées dans deux ou trois cercles thématiques. Les deux premiers articles („Théâtralité et /ou scénicité“ de Jaroslav Vostrý et „De la photographie à la performance et à l’installation“ de Július Gajdoš) sont inspirés par la parution récente en tchèque du livre d’Andreas Kotte La science théâtrale (Introduction) aux éditions du Disk. Le deuxième cercle se consacre – à quelque chose près – à la thématique polonaise et tchèco‑polonaise. L’essai de Maja Jawor „Gardzienice – mon expérience“, est suivi de plusieurs articles qui ont quelque chose à voir avec le théâtre dit anthropologique provenant de Grotowski: une place importante y est tenue par Staniewski et son Centre d’activités théâtrales situé à Gardzienice même. On peut y rapporter le Studio théâtral international de Prague, la Ferme dans la grotte, de Viliam Dočolomanský. Nous sommes partis de l’idée qu’il serait intéressant dans ce contexte déterminé de faire connaître à nos lecteurs la réaction de la grande spécialiste à l’étranger du théâtre tchèque Larisa Pavlovna Solntseva à la mise en scène la plus célèbre à ce jour des Sclavi / La chanson de l’émigrant par Dočolomanský. Une part non négligeable à la réalisation de cette mise en scène revient à Maja Jawor, l’une des actrices d’alors de l’ensemble de Dočolomanský, laquelle vit aujourd’hui en Hollande et dont l’essai constitue le premier chapitre de sa thèse de doctorat soutenue à la Faculté de théâtre d’AMU au département de Création scénique et théorie de la création scénique (scénologie). Sa thèse est la quatrième qui soit née en liaison avec la recherche ethno‑scénologique chez les Ruthènes de l’est de la Slovaquie et qui a été réalisée dans le cadre des activités du Département des créations dramatiques et scéniques à DAMU, lesquelles ont inspiré la mise en scène des Sclavi par Dočolomanský. En dehors du directeur de l’ensemble et de Maja Jawor (ainsi que d’autres acteurs du studio), y ont participé dans le cadre de leurs études de doctorat deux autres actrices de la Ferme, Eliška Vavříková et Hana Varadzinová (à ce jour la dissertation de la première a été publiée aux éditions du Disk sous le titre Mimesis et poiesis).

Une contribution importante à la connaissance des traditions polonaises du romantisme au modernisme et au‑delà, traditions auxquelles se rattache Jerzy Grotowski et (pour ce qui est de l’importance du chant) Włodzimierz Staniewski, est constituée par l’étude de Jan Hyvnar „Théâtre et clôture: la Reduta polonaise et sa réforme radicale de l’éthos du comédien“; elle traite bien sûr des trois phases des activités à la tête desquelles se trouvaient Juliusz Osterwa et Mieczysław Limanowski, activités qui, après la première période à Varsovie, (1919–1925) se déplacèrent à Vilnius (1925–1931), puis de nouveau à Varsovie (1931–1939).

Ainsi dans le cercle cité, le thème du ,théâtre anthropologique’se mêle naturellement à la thématique des relations tchéco‑polonaises et polono‑tchèques: l’article de l’historien polonais du théâtre Jan Michalik, intitulé „Marie Pospíšilová à Cracovie“ (1885), est une contribution à la connaissance de leur histoire toujours insuffisamment approfondie. Il s’agit de l’accueil de cette remarquable jeune actrice tchèque peu de temps après avoir dû quitter le Théâtre National. Le lecteur de l’article sera intéressé non seulement par la caractéristique de son style de jeu au miroir des jugements de la critique théâtrale de Varsovie, mais aussi par tout le ,mis en scène’de cette visite dans le contexte des circonstances politiques nationales du temps. Là, le spécialement scénique et le mis en scène se trouvent à côté du théâtral qui a la scénicité pour fondement (Andreas Kotte, sur le livre duquel s’expriment dans le Disk 31 Július Gajdoš et Jaroslav Vostrý, parle des „événements scéniques“ comme de quelque chose d’où naît le théâtre). On parle aujourd’hui bien sûr de scénicité et du mettre en scène dans le contexte des discussions internationales sur l’architecture – et pas seulement (par exemple) en considérant les „costumes et masques“ historicisants des constructions en question, y compris des façades fonctionnalistes lisses, sans parure, que nous pouvons aujourd’hui ressentir comme un des „costumes d’époque“, comme les appelle Radovan Lipus. Citons son compte‑rendu du séminaire consacré à l’architecture en Silésie, qui a eu lieu le 2 février 2010 à la Faculté d’architecture de l’Ecole polytechnique de Silésie à Gliwice. Radovan Lipus, qui traite de la scénologie de l’architecture dans les pages de cette revue depuis sa création en 2002, se consacre ici à la Silésie en tant que telle: comme il s’agit d’une région (avec ses traditions allemandes d’origine) où se rencontrent intensément jusqu’à aujourd’hui l’élément polonais et tchèque, on peut ranger sa contribution parmi les articles cités qui abordent cette problématique dans le Disk 31. Pour ce qui est de la scénologie de l’architecture et de l’urbanisme, elle est étudiée par David Vávra dans son article „Architecture industrielle“, un commentaire sur les informations visuelles sur la nouvelle vie des anciennes zones industrielles et des terrains environnants; ce n’est pas un hasard si la façon de les faire revivre, qui en elle‑même relève de l’art scénique, est liée souvent à leur utilisation pour des activités spécifiquement scéniques.

Dans le cadre des réflexions scénologiques, on a parlé plus d’une fois dans cette revue de la scénicité et du mettre en scène des photographies (et pas seulement de celles qu’on appelle „mises en scène“) en particulier dans les études et les articles de Miroslav Vojtěchovský. Dans ce numéro, la discussion est reprise par Július Gajdoš, à partir du célèbre propos de Roland Barthes dans son livre La chambre claire, propos cités de nouveau dans le livre d’Andreas Kotte. D’après ce propos inspiré des tableaux vivants qui se sont comme figés sur les photographies, „ce n’est pas la Peinture, grâce à laquelle la Photographie touche à l’art, mais le théâtre“. Aujourd’hui, on pourrait remplacer dans cette citation, selon Gajdoš, le théâtre par l’art performant, auquel on pourrait penser pour son rapport avec l’installation, ce qu’il fait finalement dans son étude. Plus qu’avec le théâtre, les tableaux vivants, avec leur rigidification sur les photos, ont quelque chose en commun avec ces activités. Bien sûr, un rôle important dans l’art performant est joué, comme le sait Gajdoš, par „l’idéal d’authenticité et de présences pleinement vécues non reproductibles, tellement affirmées dans les années 60 du siècle dernier. Pour la tendance post‑moderne, dans le cadre de laquelle le processus de création devient plus important que l’oeuvre‑objet finale, la présence pure, en langage figuré devient la participation principale à cet instant non reproductible, le vécu de ce qui précède le déclenchement. Seulement de ce point de vue, la photographie peut apparaître comme le gel de tableaux vivants et d’instants authentiques. Ce fut peut‑être aussi l’un des motifs pour lesquels ces artistes refusèrent toute forme de reproduction de leurs performances. Avec le temps, leur position a fortement changé“ (et Gajdoš rappelle ici le soupir de Laurie Anderson devant tout ce qui reste oublié de ce qui fut créé à cette époque, du fait qu’il n’y a aucune reproduction). „Ce qui à un certain moment peut apparaître comme le passage à l’état de mort, peut avec le temps sembler le passage à l’état de présence. La photographie se situe à ce point d’intersection. Elle oblige l’instant vivant à se figer, pour qu’il puisse devenir l’image de ce qui a été effectué et installé. Ainsi l’image échappe au temps et le cliché photographique nous permet de revenir sur ce qui a été vivant dans le passé, et de conserver ce que le photographe a découvert, dans les évenements d’autrefois peut‑être, de durable, cad. qui dépasse l’instant en question pour aujourd’hui et pour demain“.

Jaroslav Vostrý dans son étude „Théâtralité et/ou scénicité“, part de la notion d’“évenement scénique“ chez Kotte et de sa place dans son concept scientifique de la science théâtrale. Grâce à cette notion, le concept de Kotte peut être proche à ceux qui s’intéressent à la scénologie. On n’est pas arrivé par hasard à des considérations semblables à la Faculté de théâtre d’AMU à Prague, où , dans les reflexions théoriques, on part du principe que la recherche théâtrale fondamentale se fond à l’activité théâtrale elle‑même (cependant pas totalement).

Au cours de la recherche des unités de base, et cela en collaboration avec les spécialistes d’autres écoles et d’autres matières, certains chercheurs qui se consacrent à la réflexion sur cette activité sont arrivés à la même constatation qu’Andreas Kotte, à savoir que „ces unités de base où ces pierres de fondation sont formées par les épisodes scéniques ou simplement les scènes dont nous avons affaire non seulement dans les arts de la scène ou dans la littérature ou dans les arts plastiques, sans parler du mettre en scène dans la publicité, mais aussi dans l’architecture et l’urbanisme et par‑dessus tout dans la vie“. D’après Kotte, un événement est rendu scénique seulement „par l’influence directe, immédiate, manifestement réciproque des individus“; l’auteur du livre La science théâtrale (Introduction) exclut de son champ d’observation les scènes enregistrées, cad. celles dans lequelles, – au niveau de l’art‑ la problématique de l’événement rejoint la problématique de l’image. Ce rétrécissement du point de vue sur l’événement scénique et la scénicité de façon générale, Vostrý se demande s’il n’est pas dû au fait que nous évoluons quand même principalement dans le domaine de la science théâtrale. Alors que Kotte refuse, dans le cadre du concept de science théâtrale, d’élargir la conception de l’événement scénique aux cas que l’on ne peut pas examiner sans considérer la problématique de l’image, la scénologie, du fait de ses champs d’application nettement supérieurs, est allée délibérément au‑delà des frontières de la science théâtrale. „Dans la pratique actuelle de la science théâtrale, la perte de la position dominante du théâtre parmi les manifestations scéniques spécifiques est compensée par l’effort ambitieux d’étendre le théâtre et la théâtralité sur tout, éventuellement d’identifier la scénicité à la théâtralité: Kotte s’oppose à cette tendance de façon radicale et méritoire.“ Pour ce qui est de la scénologie, elle ne peut ni ne veut se dérober à „l’étude de la scénicité dans les manifestations où elle est indissociablement liée à l’usage de techniques et de technologies qui aujourd’hui fournissent un vrai espace pour le jeu; en raison de sa définition de l’événement scénique, Kotte ne peut reconnaître à ces manifestations ni la théâtralité ni la scénicité. Comme s’il s’agissait d’un arrêt à un endroit où faire un nouveau pas est nécessaire.“ Tout ce que Kotte a réussi à appréhender sur son parcours et ce qu’il a réussi à transmettre à d’autres dans son Introduction et (particulièrement bien sûr aux étudiants), mérite selon Vostrý notre pleine reconnaissance.

En dehors des cercles thématiques cités, l’attention est attirée dans ce numéro par Jan Císař, sur la manière dont la récente Histoire de la littérature tchèque 1945–1989, grâce à Pavel Janoušek et son collectif, se consacre à la problématique du drame (dans l’article „Histoire du drame“); également sur la note de Denisa Vostrá qui relève les productions éditoriales du Musée du théâtre Tsubouchi Soyo à l’Université Waseda. En annexe ,nous imprimons à côté de la troisième partie du cycle de monodrames de Gajdoš Digressions (avec pour titre Profondément vers le haut, hautement vers le bas), la nouvelle pièce de la jeune auteure Magdalena Frydrych Gregorová, Vltavínky, avec pour sous‑titre „Les rêves des femmes tchèques du 20ème siècle“ (nous avons publié dans le Disk 17 en octobre 2006 sa première oeuvre Dorotka, signée encore du nom de Magdalena Frydrychová; voir la critique de la mise en scène de Štěpán Pácl de cette pièce au Théâtre Švanda, critique écrite par Jana Cindlerová pour le Disk 28 en juin 2009 sous le titre „Légende de la demoiselle Dorothée“).