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Disk 39 (Mars 2012)

Nous avons choisi de commencer ce numéro du Disk par l’article de Václav Hanžl, pédagogue à la Faculté d’électrotechnique de l’Ecole supérieure d’ingénieurs (ČVUT) „Qui ou qu’est‑ce qui est menacé? Sur le processus de création dans les réseaux indépendants ( et peut‑être pas seulement dans ceux‑ci)“. L’article, au premier abord, ne semble se rapporter que marginalement à la problématique qui nous intéresse dans cette revue. Mais ce n’est qu’au premier abord: car il ne s’agit pas de quelque chose de marginal, mais au contraire de quelque chose d’important, et pas seulement du point de vue sociétal général. L’article, traitant des possibilités de communication indépendante des particuliers dans le réseau informatique mondial, a un lien étroit avec le thème central de notre revue, lequel est la scénicité et le mis en scène. De ce point de vue, la Toile – et certainement pas seulement au sens figuré – représente une scène extrêmement importante non seulement par son double caractère de scène et de salle, mais par son ambivalence de scène et de lieu de l’action. Il s’agit aussi bien de l’espace du mettre en scène ciblé de toute sorte, de la mise en valeur et de la vente ou même de la diffusion non commerciale de (malheureusement) toute chose, que de l’espace de création et de communication créative des individus de notre temps et du monde contemporain avec leur scénicité naturelle, comprenant l’expression, l’apparition, la manifestation et la découverte.

Précisément du fait du caractère mélangé du scénique et du simplement mis en scène, de ce qui mérite d’être considéré et de ce qui n’est pas digne et même nocif, la Toile n’est pas seulement l’image du monde et de la vie d’aujourd’hui, mais le lien où ce monde et cette vie se font ou se forment. Cette toile est assurément l’image du monde, et pas seulement ‘en tant que telle’, mais du fait de ce qui s’exprime dans la lutte pour sa manière d’exister, et finalement pour son existence (indépendante) même.

Dans son article, Václav Hanžl décrit la vague de créativité déclenchée par les possibilités de communication indépendante des individus sur la Toile, les succès inattendus de visions apparemment utopiques et la fragile dépendance des résultats de ces créations historiquement uniques du maintien futur des libertés qui étaient naturelles à la naissance du Net, mais qui, en raison de l’importance croissante de celui‑ci, sont toujours plus menacées par les tentatives legislatives de régulation et de censure. Il décrit l’histoire du projet GNU depuis le document „The GNU Manifesto“ du début jusqu’au succès mondial incontestable d’aujourd’hui, avec sa forte influence sur le développement de la communication entre les personnes, même dans l’infrastructure industrielle du monde, et il cherche des parallèles dans d’autres secteurs d’activités humaines où ce succès s’est répété (par la création de la plus grande encyclopédie existante – Wikipédia) ou bien où il pourrait se répéter ( par une gestion plus transparente de la société – et disons – par la mise en valeur des créations artistiques sans intermédaires, qui gagnent le plus avec celles‑ci et qui ont le pouvoir d’orienter une demande naturelle à leur guise cad. dant leur intérêt – pas seulement en terme de commerce mais parfois même d’idéologie et en fin de compte de pouvoir). Sous cet angle de vue, l’auteur juge de façon très critique les tentations législatives telles que DMCA, SOPA ou ACTA, lesquelles pourraient, par leur action retardatrice avoir un effet contraire à celui recherché, et détruire les résultats obtenus avant que les législateurs ne se soucient de la Toile.

Dans le dernier numéro, nous avons accordé à Karel Čapek, homme de théâtre, une importance notable et tout à fait délibérée (d’ailleurs ce n’était pas pour la première fois). Il s’agissait de son activité complexe au Théâtre de Vinohrady, cad. de son activité en tant que dramaturge (dans la contribution de Klára Novotná) et en tant que metteur en scène (dans le texte de Hana Nováková). Nous rappelons ces deux articles en liaison avec l’étude de Jana Cindlerová, publiée dans ce numéro et intitulée „Bílá nemoc (La maladie blanche): un problème dramaturgique“, en raison du fait que leurs sujets mêmes ont permis à ces auteures de marquer les vraies racines de l’activité théâtrale de Čapek (y compris en tant qu’auteur). Celles‑ci – paradoxalement au premier abord – ne plongent pas dans la littérature, mais dans la tradition du mime et du théâtre populaire. Cette réflexion sur le sens scénique spécifique de Čapek a permis à Jana Cindlerová de réviser, dans le cas de Bílá nemoc (comme pour Věc Makropulos/L’affaire Makropoulos, pièce sur laquelle elle a écrit dans le Disk 33, en raison de la production exceptionnellement riche de mises en scène contemporaines), le genre dans lequel on range habituellement cette pièce: ce qui est dû à une lecture principalement ‘littéraire’ de la pièce. A une lecture qui voit ses caractères par rapport à l’appartenance au drame conçu comme genre littéraire. Cette vue est renforcée, dans le cas de Bílá nemoc par des constatations historiques superficielles, qui empêchent d’interpréter cette pièce dans le cadre de la sensibilité théâtrale de Čapek, mais aussi dans le cadre de la tradition populaire allant de Shaw à Dürenmatt; le rappel de l’auteur de La visite de la vieille dame suffit à rendre clair que le cararctère farcesque de Bílá nemoc se manifeste chez Čapek, d’après Cindlerová, de façon suffisamment nuancée et avec une résonance caractéristique amèrement grotesque.

Tout un ensemble de textes est consacré dans ce numéro à Otomar Krejča. Il s’agit pour la plus grande part de contributions au symposium organisé pour le quatre‑vingt‑dixième anniversaite (non atteint) du grand homme de théâtre tchèque, le 21 novembre 2011 dans la Petite salle de la Bibliothèque de la Ville. Ce symposium a été organisé par celle‑ci et le Centre de création dramatique et scénique de DAMU. Les initiatrices et les responsables de son bon déroulement en ont été Marie Valtrová et Helena Pinkerová, membres du département théâtral de la Bibliothèque de la Ville. Il était impensable d’organiser ce symposium sans la participation de la metteuse en scène Helena Glancová et naturellement du dramaturge Karel Kraus, appelé pour sa compétence à présenter en premier la caractéristique du „théâtre de Krejča“ (sa contribution porte ce titre). Le professeur Jan Hyvnar dans son article „O. Krejča et la tradition du théâtre artistique au 20e siècle“ place ce théâtre et la possibilité de son existence dans le contexte correspondant, lequel aujourd’hui, d’après lui, n’existe pas. Zuzana Sílová, dans l’article „L’art du comédien chez Otomar Krejča“ réfléchit aux traits fondamentaux du jeu de l’acteur chez Krejča: dans sa pratique d’acteur et de metteur en scène, nous avons affaire à l’effort „de se rapprocher au maximum du personnage“, ce faisant, l’acteur„reste toujours lui‑même“, sans qu’il s’impose dans le rôle et joue lui‑même: il ne renonce pas ‘à sa voix, à sa gestique, à son corps ni à ses pensées, à son rire ni à sa tristesse’, tout cela au service de la représentation du personnage qui est la sienne comme celle de l’auteur.

Krejča, d’abord acteur, est devenu metteur en scène quand il a dirigé la section théâtre au Théâtre national (1956‑1961). Dans sa contribution „Otomar Krejča – chef artistique et directeur de troupe“, le professeur Jan Císař retrace la période tout à fait unique des succès de Krejča ainsi que les instruments du succès. La section théâtre au Théâtre national, sous la direction de Krejca, s’est transformée selon lui „en une institution de grande envergure conduite de façon conséquente qui tient aux principes de la dramaticité comme un des axes fondamentaux de la culture théâtrale européenne, lorsque l’intérêt pour la personne qui agit est le centre supérieur, son expérience du monde étant la connaissance de soi dans le monde“. Císař ne parle pas seulement à ce sujet de liens avec Stanislavský, Copeau et avec la mise en scène moderne d’avant‑guerre, mais apprécie „l’envergure du directeur de troupe, lequel, dans l’effort d’un profit général, établit pour les autres des conditions qui non seulement permettent de manifester son propre art, mais qui deviennent aussi partie intégrante de cet ensemble créatif“. Cet ensemble, nous pouvons l’appeler à juste titre – l’ère Krejča au Théâtre national. C’était l’époque, „où les pièces jouées au Théâtre national ont eu une grande influence sur tout le théâtre“, et cela „non seulement dans la lutte contre la conception dogmatique et utilitariste de l’ art (du théâtre) comme instrument politique“, mais aussi par une liaison non violente de la nouveauté et de la tradition, notamment dans le sens d’une mise à projet des exceptionnelles capacités dramatiques de la troupe et de leur renouveau progressif (personnel et artistique).

Les deux textes suivants („Du Dimanche d’août à Roméo et Juliette“ de Helena Albertová et „Sur les obstacles vaincus“ de Jana Patočková) traitent de la collaboration de Krejča avec le scénographe Josef Svoboda. Le premier retrace leur collaboration au Théâtre national, le second au Théâtre derrière la porte – Divadlo za branou. Les deux articles fournissent une vue générale de l’activité de metteur en scène de Krejča dans ces deux théâtres. Les caractéristiques de l’approche de Krejča sont complétées par les contributions de ceux qui eurent la possibilité de suivre de près sa démarche: Dalimil Klapka parle de Krejča pédagogue, Eva Kröschlová – qui a travaillé avec lui au Théâtre derrière la porte ainsi qu’au Théâtre S. K. Neumann d’alors – de Krejča metteur en scène, Vít Vencl du metteur en scène et du directeur du Théâtre derrière la porte II du point de vue de son assistant, Lumír Olšovský en tant qu’acteur. L’article de Zdena Benešová sur les archives du Théâtre derrière la porte constitue un point final original (et triste), lequel ‘y compris l’échange d’opinions avec Vít Vencl, devient une image, bien petite, mais significative des rapports des institutions d’Etat d’après la révolution de novembre avec la défense des traditions culturelles tchèques (et donc avec leur essor).

Un petit groupe de contributions (trois) est consacré dans le Disk 39 au musical dans notre pays. L’article de Pavel Bár et de Michael Prostějovský traite du musical ‘tchèque’ ou ‘pragois’ comme d’un phénomène original (le titre de l’article est: „Le musical tchèque – un phénomène“. D’après les auteurs, trois facteurs en particulier ont influencé son caractère. Tout d’abord, il est le résultat de la fermeture culturelle de l’ancien régime, empêchant la comparaison normale avec les influences étrangères (‘occidentales’ cad. idéologiquement ‘douteuses’) et contribuant à l’ interruption d’une continuité possible (Divotvorný hrnec/Finian’s Rainbow, que Voskovec et Werich ont ramenée de l’émigration, a été en 1948 pratiquement le premier musical américain présenté dans les pays d’Europe continentale). D’autre part, on peut certainement parler du résultat d’une préparation insuffisante à ce genre de production (à ce sujet, les auteurs posent la question de l’absence de formation musicale à la Faculté de théâtre de Prague et évoquent les résultats positifs de la pratique à Brno ainsi que le projet d’autrefois de Jiří Frejka). Enfin „finances et gestion économique“ jouent naturellement un rôle fondamental qui n’est pas sans rapport avec l’évaluation ‘officielle’ du rôle de ce genre de théâtre dans le contexte culturel. Pour ne pas parler de ce ‘contexte’ lui‑même: en effet, ce contexte permet une approche dont le but est, dans le cas d’une production commerciale, la satisfaction la plus facile (et donc la moins exigeante) du marché non exigeant des spectales de divertissement. Ne sommes‑nous pas en droit de résumer de cette façon l’argumentation des auteurs: le phénomène dont ils parlent est le résultat du petit univers tchèque bien connu aujourd’hui actualisé pour le marché. La rédactrice de la rubrique culturelle de Lidové noviny Jana Machalická considère de façon encore plus critique l’état du musical tchèque. Nous lui avons demandé d’écrire une critique des articles des auteurs cités, puis finalement d’écrire son propre article sous une forme plus étendue. Nous comptons poursuivre la discussion en nous référant aux articles de Pavel Bár et de Hana Nováková sur les productions berlinoises de musicals ainsi qu’aux autres études publiées continuellement sur ce puissant genre théâtral.

Le troisième ensemble de contributions se consacre (de nouveau en se référant aux articles et aux études publiés en permanence) à l’élaboration d’une image de la production théâtrale contemporaine à l’étranger (et donc aux manières de mettre en scène spécifiquement la présence au monde de l’être humain). Trois courants, dans une large mesure, typiques (et qui bien sûr se ramifient) sont délibérement représentés: Tereza Šefrnová nous informe dans un long article sur le théâtre de boulevard à Broadway („Le théâtre dans la 45e West Street, New York“), Jitka Pelechová („Gwenaël Morin: théâtre et polis“) écrit sur ce protagoniste français du théâtre que l’on appelait un temps chez nous ‘de studio’ et auquel ne manquent pas les caractères de quelque „beuysianisme“ théâtral (entrée gratuite, appel aux amateurs), tandis que Petra Honsová dans l’article „De Vienne et son théâtre“ traite des activités de ce théâtre traditionnel – de troupe! – (avec ses nuances diverses), lequel est typique pour l’Europe centrale: il représente en effet l’un des fondements de la culture d’Europe centrale. Il est vrai que ces dernières années, ce n’est pas glorieux (c’est peu dire) chez nous, et cela pour différentes raisons; le résultat de toutes ces influences a même reçu le qualificatif de ‘courant moyen’, lié à la puberté théâtrale de ceux qui le jugent, lesquels n’ont aucune idée de ces motifs et de ces influences – et encore moins des visages possibles de ce genre de théâtre.

La critique de Jan Hančil du livre de Mathew H. Wikander Les griffes de la malice (Fangs of Malice) ayant pour sous‑titre hypocrisie, sincérité et comédie, ainsi que la note de Denisa Vostrá sur l’exposition Hokusai à Berlin complètent ce numéro. En annexe, nous publions la nouvelle pièce de Lenka Lagronová, Jane.