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Disk 37 (Septembre 2011)

Le professeur Jaroslav Vostrý (1931) se penche dans son étude «De la théatri(sti)que à la scénologie?» sur la réflexion tchèque contemporaine sur le théâtre. L’occasion de se confronter directement avec les  tendances contemporaines à l’étranger a été offerte à la théâtrologie tchèque grâce à la conférence de Brno organisée «ad honorem du professeur Ivo Osolsobě» par la Faculté de théâtre de l’Académie Janáček il y a bientôt trois ans; l’auteur de l’étude citée s’appuie sur le procès-verbal de cette conférence publiée en 2010. Dans la première partie de son étude que nous imprimons dans ce numéro, il considère deux ‘directions’représentées à la conférence par le théâtrologue Joachim Fiebach et Petr Oslzlý: tandis que le premier ne se situe plus dans le champ du théâtre et da la théâtralité, ou encore de la théâtristique, mais s’intéresse aux aspects scéniques non-spécifiques de la réalité sociale, le second se maintient dans les limites du théâtre produit plus ou moins pour lui-même en tant que tel. A un autre niveau ,ces approches différentes se font voir dans le rapport au théâtre contemporain: tandis que le point de vue de Petr Osolsobě contient une critique du visage actuel du théâtre, la contribution de Václav Cejpek repose comme on dit sur la reconnaissance de son état actuel qui s’offre à la théâtrologie tel qu’il est (et selon le professeur Cejpek, absolument pas mauvais).

Vostrý, quant à lui, situe la scénicité et le mettre en scène en face de la (simple) théâtralité, parce que l’identification de la ‘scénisation’ ou de la «mise en scène» des réalités de la vie contemporaine avec la ‘théâtralisation’ lui semble très imprécise. Parmi les efforts accomplis pour justifier sa propre raison d’être académique (très fragile souvent), l’application souvent très large de quelques concepts et catégories à la science théâtrale, sert bien sûr aujourd’hui à l’expansion du propre champ de recherche en dehors (nullement ‘au-delà’ mais bien ‘en dehors’) des frontières déjà très fluctuantes du théâtre en lui-même. En rapport avec le changement performatif dans les sciences de la culture, la théâtralité se montre indissociable de la performativité – exactement comme le ‘quoi’ ne se sépare pas du ‘comment’( très important du point de vue  scénologique) dans cette action, dont il  semblait s’agir principalement dans les nouvelles voies de la science théâtrale depuis les années 90. La théâtrologie, d’après Vostrý, n’ est pas née par hasard comme science historique, et la théorie théâtrale ne peut être fidèle à sa discipline, si elle fait dériver ses thèses simplement de l’observation des ‘tendance contemporaines’. D’autant plus, si elle envisage le théâtre sous l’angle déterminé par la dernière tendance à la mode cultivée par des institutions puissantes académiquement (et souvent même dominatrices) plutôt que de sortir du théâtre dans toute son étendue historique.

La doctorante Jana Cindlerová (1979) dans son article «Victime inutile? Les lampes à pétrole (Petrolejové lampy) et Le consolateur (Utěšitel) au Théâtre de Bohême du Sud» s’intéresse à deux mises en scène de l’ensemble théâtral qui depuis assez longtemps déjà fait partie des meilleurs dans la catégorie des théâtres locaux et régionaux. Le coeur des réussites du théâtre de Bohême du Sud se trouve dans la liaison heureuse d’une dramaturgie créatrice et innovatrice avec un ensemble disponible et intelligent, pour les membres duquel des adaptations de qualité et de nouvelles pièces naissent dans l’atelier de la dramaturge Olga Šubrtová et du directeur artistique Martin Glaser (par ex. le succès justifié de L’homme des sept soeurs d’après J. Havlíček, dont le texte se trouve dans le Disk 15 de mars 2006; voir aussi l’article de Z. Sílová et J. Vostrý «Les troupes de théâtre: le théâtre à České Budějovice» dans le Disk 24 de juin 2008). Dans un tel milieu créateur, que la direction des quatre ensembles ne soutient pas seulement formellement, naissent des oeuvres artistiques attachantes et actuelles – qu’il s’agisse des Lampes à pétrole de Havlíček, pièce vieille de cent ans (dans la mise en scène de laquelle retient particulièrement l’attention la performance de Lenka Krčková, la protagoniste principale, ainsi que de toute la troupe dirigée par Michal Lang) ou bien de la dernière pièce du tandem Šubrtová-Glaser Utěšitel (dont nous avons imprimé le texte dans le Disk  du mois de mars de cette année).

Une autre étude de Zuzana Sílová (1960) du cycle Les artistes de tréteaux sur la scène tchèque, né dans le cadre du projet de recherche GAČR Formes et manières de l’art du comédien, est consacrée à un comédien exceptionnel de la première moitié du vingtième siècle. Hugo Haas (1901–1968) a été de son temps une étoile des petites pièces de salon et des films comiques qui font partie aujourd’hui du trésor de la cinématographie tchèque. Dans la première partie (‘Jeune premier, comique, ou bien caractère?’) l’auteure suit le chemin de Haas de la scène de Vinohrady, où il a commencé comme jeune premier de salon, mais où il montrait déjà une variabilité exceptionnelle dans la création de caractères, au Théâtre National qui mettait à profit la prestation  moderne et sobre de l’acteur pour les mélodrames et les comédies de société. Le film tchèque a également tiré profit du charme de Haas, de son ironie enjouée, et de sa passion de l’incarnation quand il crée diverses variantes des masques comiques de jeunes gens et de vieillards. La deuxième partie de l’étude (‘Du mime à l’art du comédien’) est consacrée aux nouvelles figures de l’art de Haas, joignant la distance à l’empathie authentique avec les personnages et leurs situation. Ces formes ont culminé avec l’incarnation de Galen dans Bílá nemoc (Maladie blanche) de Čapek et ont continué pendant son émigration en Amérique où il a gagné la considération méritée des cinéastes par des études dans les drames psychologiques qu’il a écrits et mis lui-même en scène.

Dans le cadre de la bourse GAČR Formes et manières de l’art du comédien, le cycle consacré aux virtuoses du 19ème et du 20ème siècle continue, le professeur Jan Hyvnar (1941) en est l’auteur. L’étude «H. Modrzejewská: une étoile sur deux continents» est consacrée à la grande actrice polonaise de la deuxième moitié du 19ème siècle, qui a joué en polonais, mais aussi en anglais et est devenue ainsi véritalement actrice en Europe et en Amérique. Dans la première partie sont décrit les épisodes successifs de sa vie, ses débuts en province, puis ses succès au théâtre de Cracovie et enfin sa première période faste à Varsovie. Au sommet de sa gloire, l’actrice a décidé avec d’autres intellectuels polonais de vivre en Californie dans une ferme, mais elle a vite maîtrisé l’anglais et a commencé grâce à son art la conquête de villes américaines sous le nom de «Modjeska». Dans la deuxième partie, l’auteur a distingué les caractéristiques de la méthode de cette actrice shakespearienne, à savoir la fidélité à l’intention de l’auteur, la synthèse de l’idéalisation et du réalisme et l’approche critique du ‘virtuosisme’ de nombreux acteurs de l’époque. Modrzejewska était une représentante de la fonction spirituelle de la conception sacralisée de l’Art et cela en accord avec son rôle de patriote au temps où la Pologne était occupée par trois puissances.

Dans l’article «La mort tragique dans les photographies de Jan Zátor¬ský», Tereza Šefrnová (1980) part du fait que la reportage et une part du documentaire photographique  se signalisent par un travail délibéré, programmé et orienté avec le découpage du temps et de l’espace. Ce qui fait passer le journalisme photographique  du document, cad. de l’effort de saisir le fait réel autant que possible de façon concrète, précise et équilibrée à la représentation d’auteur ou à l’éclairage personnel commenté des événements, ce qui implique l’élimination parfaite de tout ce qui détournerait le spectateur de sa concentration à la perception de l’image photographique et le conduirait à une simple observation superficielle. Les trois photographies analysées n’ont pas besoin du contexte d’autres photographies des cycles correspondants. Un titre bref suffit, comme par ex. sur la photographie avec la main distribuant les journaux avec le portrait du président polonais tragiquement disparu; pour la photographie des ‘momies’– victimes du tragique tsunami, il suffirait d’écrire pour titre: 27 décembre, un jour après le Tsunami. La force photographique de cette mise en scène repose sur le découpage pertinemment choisi de la réalité contournant le ‘cliché’presque classique du tas de ruines. Ce n’est pas par hasard si l’auteure examine  à fond  la photographie Tragédie polonaise; les parallèles qu’elle fait incitant le spectateur averti à une réflexion par laquelle le photographe réfléchi et averti qu’est Jan Zátorsky mobilise l’imagination.

L’article sur la pièce de Šrámek La lune au dessus de la rivière (Měsíc nad řekou) – portant le mention «un problème de dramaturgie» – a eu pour origine la mise en scène de ce classique de Šrámek au Théâtre morave d’Olomouc, dont la première a eu lieu en février de cette année. Le doctorant Milan Šotek (1985) a choisi cette pièce en tant que dramaturge du théâtre d’Olomouc et a participé à la mise en scène, même s’il n’a pas eu la possibilité d’un travail dramaturgique étroit avec le metteur en scène. A côté d’une brève analyse de la pièce, où il découvre ce que la situation offre au comédien, ainsi que la tension entre le ‘prononcé’et le ‘tu’, il s’intéresse à l’adaptation langagière du metteur en scène Zdeněk Černín. Cela le conduit à une réflexion générale sur les interventions dramaturgiques faites dans l’effort de rapprocher la langue de la pièce du ‘jeune spectateur’. Šotek se rend compte de ce qui se passe lorsqu’on appauvrit le texte de son potentiel scénique grâce à une stylisation dans la langue même de la pièce. N’est-ce pas finalement le problème des tentatives semblables trouvant leur solution dans une stylisation scénique qui se situe fondamentalement au niveau de la langue?

Le texte de Jiří Šípek (1950) «Deux rencontres avec la scénicité» revient sur les rapports généraux du mettre en scène dans l’art et dans la vie courante. Il offre quelques vues à l’aide d’exemples concrets, qu’il s’agisse d’un texte philosophique toujours vivant, ou bien d’une production artistique du domaine musical. L’auteur rappelle d’abord brièvement les limites de la scénicité et aussi du domaine de la scénologie dans le sens de son objet et de sa méthode. La première ‘rencontre’ concerne les considérations de Friedrich Nietzsche, concernant sa compréhension du courant dionysiaque et apollonien du théâtre antique. En particulier le fonctionnement du coeur, comme le décrit Nietzsche, peut être compris en liaison avec les thèmes du mettre en scène, du sentiment intérieurement tactile et de la distance. La deuxième ‘rencontre’ est consacrée à deux manifestations musicales, à savoir le concert d’ouverture des PROMS de cette année et le concert FOK de l’année 2004. Dans les deux cas, l’auteur se concentre surtout sur le récitant (Jan Tříska) et sur sa façon de se produire. On voit de nouveau que dans le domaine du récitatif, très contrôlé dans l’expression, il existe une quantité de moments intéressants et inspirants du point de vue scénologique. L’article de Tereza Nekovářová constitue un complément original aux considérations de Šípek. Il porte sur le mis en scène dans la nature en tant que phénomène original, lequel n’a pas nécessairement besoin d’un observateur humain. Dans ce contexte, la signalisation dans des situations sociales chez une série d’espèces animales est comprise comme une mise en scène. Ce mettre en scène peut se trouver à différents niveaux – des structures morphologiques spécialisées, la coloration et le comportement inné (par ex. le chant des oiseaux, la danse de séduction ou le combat rituel), mais nous pouvons y ranger le comportement sophistiqué que nous voyons par exemple chez les primates ou les grands corbeaux.

L’étude de la doctorante Lucie Bu¬re¬šo¬vá (1983) intitulée «La danse butō dans le contexte de l’histoire moderne du thèâtre japonais» est centrée sur le phénomène de l’art du même nom de la danse moderne japonaise, sur les questions de son origine et de son développement. Elle analyse donc le terme butō du point de vue linguistique, met en évidence les influences, le fond socio-culturel et les conditions de la naissance d’une «nouvelle danse». Elle conçoit butō comme un produit culturel important du point de vue artistique et social. Le butō est d’un côté fortement influencé par la tradition, mais la source d’inspiration se trouve avant tout dans l’art européen et pas seulement dans la danse. Il est logiquement lié à l’histoire théâtrale du Japon du 20ème siècle, mais l’impulsion lui est venue plutôt des événements socio-politiques de l’après-guerre – le désir de s’exprimer non seulement sur le tragique de la guerre, mais principalement contre la croissance économique irrésistible qui lui fit suite et les transformations de la société qui l’accompagnèrent. Il parcourt nombreuses branches de l’art, se tourne vers les qualités corporelles naturelles, mais aussi vers les concepts philosophiques et spirituels – puise dans le boudhisme, le shintoïsme et le christianisme. L’analyse des différents domaines qui contribuèrent à la création de butō est complétée par les portraits des deux fondateurs de cette danse qui sont Tatsumi Hijikata et Kazuo Ōno. Après la disparition d’Ōno l’an passé, le butō a obtenu, après de nombreuses années de déclin, le statut d’une tradition, entretenue de manière artificielle par une poignée de disciples fidèles. Son influence est indiscutable sur la danse et le théâtre contemporains au Japon.

Dans l’article «Le bâtiment de l’Opéra et du Ballet national de Norvège: un événement scénologique», le metteur en scène Jakub Korčák (1961) présente ce bâtiment situé à Oslo, lequel est un exemple unique de liaison réussie d’une architecture moderne de pointe avec les plus hautes exigences fonctionnelles et techniques du théâtre contemporain. L’auteur de l’article s’applique à faire une description détaillée de la construction et s’appuie sur son expérience personnelle du fonctionnement de l’édifice au cours des répétitions de l’opéra de Tchaïkovsky Eugène Onégine. L’édifice est devenu un nouveau lieu culte de la capitale norvégienne et a fait d’Oslo l’un des plus importants centres pour l’opéra et le ballet. Cet article de Korčák est à rapprocher du thème de l’industrie créative ou culturelle, lequel a été lancé dans le Disk 32 par le professeur Július Gajdoš (1951) avec son étude «Les industries créatives: essor de la culture, ou nouvelle dictature des marchés?» Martin Cikánek réagit justement dans ce numéro avec son article «Les industries créatives: la voie de sortie des pays de l’assemblage et des entrepôts». Cikánek est l’auteur de la publication Les industries créatives-une chance pour une nouvelle économie (Institut d’art – Institut de théâtre 2009). Cikánek est directeur dans cet institut du projet de recherches Cartographie des industries culturelles et créatives en République Tchèque (NAKI DF PO 10VV31). Ce numéro permet à Július Gajdoš de répondre à son contradicteur.

Július Gajdoš a aussi contribué à ce numéro avec son article «Les paradoxes du sourire Kroner» écrit dans le champ de la publication de Zuzana Bakošová-Hlavenková et d’un collectif d’auteurs, sous le titre L’elixir de sourire avec pour sous-titre Jozef Kroner et la famille, parue en 2010 à Bratislava. Le professeur Jan Císař (1932) s’intéresse à d’autres publications, notamment dans ce numéro au livre de Pavel Drábek Les Tchèques s’essayent à Shakespeare. Le livre de Drábek est un dossier d’habilitation publié de façon privée, lequel concerne l’état de l’actuelle historiographie du théâtre tchèque. Le point de départ, d’après Jan Císař, est l’idée de Drábek que cette discipline théâtrologique cherche de nouveaux principes, de nouvelles approches, une nouvelle méthode et une nouvelle méthodologie, pour résumer, de nouveaux paradigmes, dont elle a instamment besoin dans son état actuel. L’étude de Drábek suit les traductions des drames de Shakespeare en tchèque depuis la fin du 18ème siècle jusqu’à aujourd’hui, et il confirme la fonction irremplaçable de l’oeuvre de Shakespeare dans la naissance du théâtre tchèque des temps modernes. Il le conçoit dans le large contexte de la matière même, du développement du théâtre et de la société tchèque. Par la largeur de ce point de vue, il atteint à un point de vue simultané qui est un apport à la recherche mentionnée de nouveaux paradigmes de l’historiographie du théâtre tchèque.

En annexe, nous imprimons le dramolet de Jiří Šípek Petite planète 152 (Planetka 152).

Traduction Vladimíra et Jean-Pierre Vaddé