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Disk 35 (Mars 2011)

Les cas extrêmes de mise en scène de soi ont quelque chose à voir avec des interventions chirurgicales. La chirurgie plastique d’aujourd’hui atteint désormais son but principal, qui est le traitement des défauts de naissance ou diverses blessures, mais en même temps, elle participe à la réalisation du rêve de belle apparence – elle est le laissez‑passer dans le monde de la réalisation de soi à l’époque du mettre en scène général. La doctorante à DAMU Ewa Żurakowska (1982), dans l’article „Médecine et art – les rôles s’inversent“ se pose la question de savoir dans quelle mesure ces interventions motivées dans l’apparence extérieure de la personne ont une relation avec son identité, et cela dans le cadre général de „fluctuation de la frontière entre ce qui est réel et ce qui est simple imagination ou même illusion“; nous avons à faire à cette fluctuation „autant dans le domaine de la chirurgie plastique d’aujourd’hui, que dans l’art faisant des expériences avec des corps sains, malades et mutilés. D’après l’auteure, il ressort du matériel médical et artistique analysé que dans le monde d’aujourd’hui s’est produit le renversement des rôles de la médecine et de l’art dans leur rapport au corps. Il ne s’agit pas pour elle d’une analyse globale de cette problématique. Mais elle a tenté une approche de ce thème „en particulier en considérant des réalisations artistiques expérimentales toujours plus controversées, lesquelles montrent le corps qui se noie dans la crise du démantèlement hyperréel des frontières entre ce qui est réel et ce qui est virtuel.“ Elle arrive alors à la conclusion que l’art contemporain „représente dans les performances, les installations et sur les photographies le corps désintégré, soumis à la torture due à son passage forcé dans le corset du beau et jeune projet du postmodernisme. Un tel corps demande l’aide d’un médecin qui lui redonnerait son harmonie d’origine, qui complèterait les parties manquantes de la machine‑corps et en ferait une construction consciente d’elle‑même“. On peut vraiment dire, comme l’affirme l’auteure, que l’art, de cette manière, essaie de guérir le corporel du complexe d’imperfection et de le libérer de l’emprise d’un contrôle omniprésent?“

Dans l’article „Action – Kameny – la StB et la frontière fictive de l’Etat“ Josef Valenta (1954) examine du point de vue scénologique l’action bien connue de la Sûreté Nationale (StB) pendant l’automne 1948 lors duquel des personnes fuyant à l’Ouest étaient contactées par un soi‑disant ,passeur’, qui était un agent ou même un cadre de la police secrète. Ensuite elles étaient conduites la plupart du temps de nuit dans un endroit que le ,passeur’déclarait être sur le territoire étranger; c’est alors qu’elles étaient arrêtées par des membres de la StB portant l’uniforme de la police allemande des frontières. Ceux‑ci menaient les fugitifs dans un local aménagé comme un bureau de l’armée américaine. Là, un interrogatoire leur permettait d’obtenir les renseignements qui intéressaient la police secrète. Dans les récits de cette action revient souvent le terme de ‘théâtre’. „Dans l’action Kameny se multiplient les moyens théâtraux et des éléments de drame (scénario, scène, personnages, diverses situations dramatiques, dans lesquelles il est nécessaire d’agir dans le contexte de la situation dramatique générale […] de fuite du totalitarisme). Et les gradés de la sécurité jouent donc des rôles (même si seulement de manière plutôt schématique). Et plusieurs même avec un grand ‘engagement personnel’ (‘ils se donnent’ à leur personnage). Devant tous les divers protagonistes, ils se défont de leur propre identité […] et se présentent comme quelqu’un d’autre. Il est pourtant difficile de dire qu’il s’agissait de théâtre. Il manque toujours la convention théâtrale de base reposant sur le ‘comme si’“, dit l’auteur en comparant cette action, qu’il est certes possible de prendre comme un exemple de mise en scène non spécifique, avec d’autres exemples d’actions scéniques semblables sous le régime stalinien. Il la compare aussi au film (cad. à une forme scénique spécifique) intitulé Swingtime, dans lequel, d’après les historiens, l’action se déroule exactement comme ce fut le cas dans la réalité. L’auteur contribue profondément à l’importante distinction du „scénique“ et du „théâtral“ sur la base de la distinction scénologique entre le mettre en scène spécifique et non spécifique, cad. entre le niveau de ‘l’image artistique’ et les événements vécus ayant un fort aspect de mise en scène (en l’occurence dans le cadre d’effets souhaités et réels de la propagande, qui furent tragiques pour les acteurs involontaires).

Dans l’article „Le paysage comme scène ou des scènes dans le paysage?, le professeur Július Gajdoš (1951) décrit la ‘galerie naturelle’Storm King Art Center dans l’Etat de New York et interprète du point de vue de la scénologie quelques‑uns de ses éléments constitutifs. Le point de vue de base suivi par l’auteur est exprimé par la phrase, selon laquelle les créateurs ont voulu „faire le lien de deux idées dans une visée: la force naturelle du paysage avec des oeuvres sculptées monumentales et aussi former un grand espace dramatique“. La partie principale du texte est précédée d’une introduction générale portant sur la scénologie des jardins de château à la française et à l’anglaise, qui provient des considérations sur la pièce de Stoppard Arcadie. J. Gajdoš sonde ainsi de façon intéressante le domaine de la scénologie des jardins et des parcs naturels, cad. d’un type déterminé de paysage construit. L’adaptation du paysage va (dans la plupart des cas) dans le sens d’une vision aussi plastique que dramatique de celui qui peut influencer cet espace scénique non‑spécifique – l’influencer comme scène faite pour que les visiteurs le perçoivent (et eux‑mêmes dedans) pendant leur séjour dans un tel paysage de façon adéquate. L’article de Gajdoš présente une certaine analogie partielle avec ‘la scénologie de la ville’ que développe en particulier dans cette revue Radovan Lipus (par ex. dans l’article „New York scénique“ dans le Disk numéro 30). Aux statues de la ‘galerie paysagère’, nous pouvons, dans ce cas avec une certaine liberté, substituer divers bâtiments avec leurs fonctions spécifiques, y compris symboliques, parmi lesquelles, dans le cas d’un café, on peut parler d’être une scène d’une certaine façon. Il s’agit de la restauration d’un objet symbolique de ce genre dans le cas du célèbre café de Český Těšín, dont parle précisément dans ce numéro Renata Putzlacher (1966) dans l’article „D’Avion à Noiva – du rêve à la réalité“.

Pavel Bár (1983) poursuit dans ce numéro le panorama de l’histoire du théâtre musical tchèque (théâtre de variétés): voir ses études précédentes – dans le Disk 32 l’étude „La révolution dans l’opérette?“ est consacrée à la situation du théâtre musical après 1945 avec les apports originaux de E. F. Burian et d’Alfréd Radok. Et dans le numéro 25, l’article „Jiří Frejka‑Epilogue 1950–1952“ est consacré à l’oeuvre du grand metteur en scène tchèque au Théâtre de Karlín. Dans l’étude „L’essor du musical (Les premiers musicals étrangers sur les scènes des théâtres tchécoslovaques à la fin des années 50 et au début des années 60)“, Bár suit comment ce théâtre musical tchèque a connu une transformation particulière de son genre dans les conditions de pression idéologique, dont l’affaiblissement progressif, surtout à partir du début des années 60 du siècle dernier, a eu une influence essentielle sur l’appropriation de ce genre sur les scènes tchèques. Celui‑ci (certes sous une autre dénomination) est apparu en Tchéquie tout de suite après la guerre, lorsque Werich et Voskovec ont présenté le 9 mars 1948 Divotvorný hrnec (Finian’s Rainbow) – livret de E. Y. Harburg et de F. Saidy, musique de B. Lane – dans une mise en scène unique en son genre et à vrai dire la première en Europe du musical américain. Pour ce qui est du théâtre musical, Věra Šustíková (1956) s’intéresse à la situation du mélodrame européen contemporain, telle que la reflètent les séminaires tenus régulièrement à Prague, dans l’organisation desquels, à côté de la Société Zdeněk Fibich, jouent un rôle important le Centre de recherches fondamentales de l’Académie des Arts de Prague et l’Université Masaryk de Brno.

Pour ce qui est de l’histoire de l’art du comédien tchèque, la doctorante Lenka Chválová (1979) poursuit dans ce numéro l’étude de la dramaturgie adoptée pour les comédiennes tchèques – voir ses contributions dans le Disk 28 et 29 consacrées aux actrices ayant incarné les personnages féminins de Josef Kajetán Tyl. Dans l’étude „Otýlie Sklenářová‑Malá: chemin vers le théâtre“, Lenka Chválová se consacre cette fois‑ci à la grande actrice tchèque classée parmi les adeptes de l’art déclamatoire qui dominait la scène tchèque, en gros des années 1860 aux années 1880. Cette manière de jouer est habituellement comprise comme rationnelle, pathétique, ayant un côté monumental et une petite dose de sentiment et de naturel. Chválová a réussi par de profondes études des sources à montrer que Sklenářová‑Malá était une actrice d’une grande sensibilité, laquelle amenait l’artiste à vivre les états d’âme liés à la situation des personnages. C’est seulement après et à partir d’eux que l’actrice cherchait et élaborait la stylisation qui était typique de l’art déclamatoire, soutenu chez Sklenářová‑Malá par une culture exceptionnelle du geste. C’est une constatation qui contribue non seulement à la connaissance de la création de cette actrice, mais aussi à l’éclaircissement de nos connaissances de l’art de la déclamation en général.

Dans le cycle d’articles écrits dans le cadre du projet soutenu par l’Agence des Bourses de la République Tchèque, lequel s’intitule Formes et procédés du jeu du comédien, le professeur Jan Hyvnar (1941) se consacre aux comédiens virtuoses du 19e et du 20e siècle (dans le Disk 27 Sarah Bernhard et Eleonore Duse, dans le Disk 28 V. F. Komissarzevska, dans le numéro 32 Mounet‑Sully et B. C. Coquelin, dans le numéro 33 Henry Irving et Ellen Terry et dans le Disk 34 A. Ristori, E. Rossi et T. Salvini). Après les comédiens et les comédiennes français, anglais et italiens vient le tour des comédiens virtuoses allemands. Dans l’étude suivant le chemin de l’art du comédien allemand du romantisme au modernisme, Hyvnar parle d’abord de deux comédiens romantiques de premier plan J. F. Fleck et L. Devrient. Ensuite il trace le portrait de trois acteurs qui ont commencé dans les années 1870 – F. Mitterwurzer, L. Barnay et E. Possart – et la plus grande attention est consacrée, en dehors du néoromantique A. Matkowsky à la création de J. Kainz, l’acteur le plus célèbre de cette époque, au sujet duquel il est possible de parler des débuts du modernisme dans le jeu de l’acteur.

Outre la contribution du doctorant Hasan Zahirović (1975), récapitulant l’accueil des drames de Čapek dans le domaine linguistique serbo‑croate, et les articles du doctorant Štěpán Pácl (1982) et de la doctorante Jana Cindlerová (1979), consacrées aux mises en scène viennoises et londoniennes, cette dernière nommée rappelle de façon concise l’apport à la scénographie de Luboš Hrůza, à l’occasion de l’exposition au théâtre de Jihlava. Ce numéro se termine par la nouvelle pièce de Martin Glaser et Olga Šubrtová (nous avons publié dans le Disk 15 de mars 2006 leur comédie à succès L’homme aux sept soeurs).